LES POLICES D'ASSURANCES DE DROIT ETRANGER DOIVENT-ELLES ETRE SOUMISES AUX DISPOSITIONS D'ORDRE PUBLIC DU CODE DES ASSURANCES FRANCAIS ?
Dernière mise à jour : il y a 10 heures
La Cour de Cassation avait rendu deux arrêts vivement critiqués en 2023, en jugeant que les dispositions d'ordre public du code des assurances français devaient s'appliquer "quelle que soit la loi régissant le contrat". Elle vient de revenir sur sa position dans un arrêt rendu le 19 décembre 2024 ...
Le 19 décembre 2024
La question est posée dans le cadre du sinistre sériel photovoltaïque dont notre cabinet est saisi pour le compte d'un assureur néerlandais, qui a donné lieu au prononcé de plusieurs arrêts par la Cour de Cassation.
Le sujet concerne plus précisément le sort des clauses d'exclusion, prévues dans une police de droit néerlandais, qui, en droit français, doivent répondre aux conditions de forme et de fond posées par les articles L. 112-4 (rédaction en caractères très apparents) et L. 113-1 du code des assurances (caractère formel et limité), mais aussi la mise en oeuvre de l'action directe par le tiers lésé (article L124-3 du même code).
En décidant que les dispositions d'ordre public du droit français régissant la validité des clauses d'exclusion (articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances) étaient applicables "quelle que soit la loi régissant le contrat" (Cour de Cassation, 2ème chambre civile, 15 juin 2023, n°21-20.538 ; solution réitérée le 12 octobre 2023, n°21-25.308), la Cour de Cassation a fait l'objet de vives critiques de la part de la doctrine et des professionnels de l'assurance.
Il semble en effet que la Cour ait assimilé l'ordre public interne du code des assurances à l'ordre public international, alors qu'il est de principe qu’une règle d’ordre public de droit interne ne constitue pas nécessairement une loi de police au sens du droit international privé.
Ainsi, en droit international privé, seules les dispositions qui tendent à la préservation des intérêts supérieurs de la France, et non à la seule protection des assurés, valent d’être érigées en lois de police.
De plus, l'arrêt rendu en 2023 a créé une insécurité juridique majeure pour les assureurs délivrant des polices applicables en France mais soumises au droit d’un autre pays (ce qui est très souvent le cas dans le cadre des programmes internationaux d'assurance).
Ainsi, après avoir très fermement contesté la solution consacrée en 2023, nous venons d'obtenir une nouvelle décision de la même chambre de la Cour de Cassation, prononcée le 19 décembre 2024 (n°22-17.119), qui adopte un raisonnement beaucoup plus nuancé et dont l'importance est soulignée par sa prochaine publication au Bulletin.
S'agissant tout d'abord du formalisme d'ordre public des clauses d'exclusion (article L112-4 du code des assurances), la Cour se borne à relever, en reprenant sa jurisprudence antérieure, que "seules les parties au contrat d’assurance pouvant invoquer le non-respect du formalisme prévu par ce texte, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à une recherche qui était inopérante", dès lors que seul un tiers au contrat invoquait ce formalisme. Ce faisant, ceci évite à la Cour de se prononcer sous l'angle du droit international privé.
Ensuite, et c'est là le véritable intérêt de l'arrêt, la Cour adopte un raisonnement plus conforme à la notion d'ordre public international, en ce qui concerne le régime de l'action directe (article L124-3 du code des assurances).
Le pourvoi prétendait qu'était contraire à l'ordre public la clause limitant la durée de la garantie responsabilité civile à un délai (2 ans) inférieur à celui au cours duquel la responsabilité de l'assuré pouvait être recherchée, au visa des articles L124-3 et L181-3 du code des assurances.
Or, si la Cour de Cassation énonce dans son arrêt qu'une telle clause doit en effet être réputée non écrite en droit interne, en revanche, elle relève, s'agissant d'un contrat de droit néerlandais, qu'il convient de vérifier si ce contrat est contraire à une loi de police, au sens de l'article L181-3 du code des assurances.
Pour procéder à cette vérification, la Cour fait référence à la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne, qui considère que : "la qualification de dispositions nationales de lois de police et de sûreté par un État membre vise les dispositions dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne (...) ou à tout rapport juridique (...)". Il doit donc apparaître que le législateur national a adopté cette loi en vue de protéger "un intérêt jugé essentiel par l'État membre concerné". Ainsi, des dispositions nationales qui ne viseraient qu'à protéger des intérêts individuels ne sauraient être érigées en loi de police.
Selon la Cour, ce sont donc ces principes qui doivent la conduire à qualifier une disposition nationale de loi de police, par référence tant à la Convention de Rome qu'à l'article L181-3 du code des assurances.
La Cour retient donc, dans son arrêt du 19 décembre 2024, que l'article L124-3 du code des assurances, "en ce qu’il ne permet pas de prévoir un délai de garantie inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré, n’est pas une loi dont l'observation, en matière d’assurance facultative, est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable, et, par conséquent, ne constitue pas une loi de police".
Cette motivation est très intéressante puisqu'elle nuance fortement la solution adoptée en 2023 par la même chambre, qui avait posé en principe "qu’en matière d’assurance de dommages non obligatoire, les dispositions d’ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat".
L'arrêt du 19 décembre 2024 ne se prononce, certes, qu'au regard des dispositions de l'article L124-3 (et non de celles des articles L112-4 ou L113-1) du code des assurances, mais la motivation retenue semblant avoir une portée générale, l'analyse de l'existence "d'un intérêt jugé essentiel" devrait également être menée s'agissant des articles L112-4 et L113-1 du code des assurances. Or, à notre connaissance, la Cour de Cassation n'y a pas procédé jusqu'à présent.
Il est donc permis d'espérer qu'à l'occasion des prochaines décisions qu'elle prononcera dans les affaires que nous lui avons soumises, la Cour pourra retenir une analyse similaire s'agissant des dispositions des articles L112-4 et L113-1 du code des assurances, en modifiant ainsi plus clairement sa jurisprudence de 2023.
Quand l'ordre public interne et l'ordre public international s'invitent dans les polices d'assurances de droit étranger ... Des subtilités et conséquences juridiques qui ne manqueront pas d'animer nos prochains débats judiciaires !
Nous sommes bien sûr à votre disposition pour toute question relative à cet article. Christophe Adrien / Florent Schapira / Benjamin Dufraiche Avocats - Adrien & Associés
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